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Le prisme des Dérivations

crédits photo: Chloé Saffores

Introduction

D’où qu’on l’interroge, l’improvisation fuit. Elle exige des gestes de déplacement, de retournement, de glissement. Elle dévie les trajectoires afférentes à nos modes privilégiés d’agir, d’interagir et de penser. Inassignable au regard des catégories de l’art et du savoir, elle se situe, opère et questionne toujours un peu ailleurs qu’on ne le croit.

Taillée au plus large comme une modalité générale de l’action individuelle et collective (nous parlons, marchons, bougeons la plupart du temps sans anticipation ni plan prémédité), définie au plus serré comme un ensemble de pratiques artistiques expérimentales qui choisissent de coller l’un sur l’autre le temps de l’exécution et celui de la composition, l’improvisation désigne un spectre de l’action qui appelle un nouvel effort de pensée.

Nous lui donnerons la forme d’un verbe – celui de dériver – comme geste à expérimenter et à méditer pour la première édition de l’Improvisation Summer School. C’est à travers le prisme poétique de la dérivation, et les facettes polysémiques qu’il miroite, que nous désirons interroger la spécificité des gestes improvisés. Un thème, une image – celle du détournement d’un cours d’eau (rivus) –, et une invitation à fouler les voies de traverse qui iraient à toucher le cœur de l’improvisation par contournement.

Comment bien dériver ? En perdant, pour commencer, la boussole du sens. Puis en explorant ses différentes résonances lexicales, laissées libres à toutes les formes d’association. Vous nous suivez ?

Pistes, rives, dérives et résonances

[Micro-résonances]

Dériver, dans la préparation de l’acte improvisé, c’est « défaire ce qui est rivé ». Une acception technologique qui rend compte des techniques intérieures des improvisateurs, dans leur pratique artistique, pour défixer les frayages de leurs habitudes jusqu’en leurs sites somatiques les plus ténus. Pour débrayer les images, les pensées, les chemins réactionnels les plus assimilés, et devenir un corps expérimental qui réouvre ses potentiels d’action, de perception, d’interaction, et remet sa gestosphère en chantier.

Dériver, c’est aussi par glissement « détourner de la voie considérée comme allant de soi ». Un geste de désorientation qui régit la praxis improvisée elle-même quand elle accepte de ne pas savoir, et de naviguer à vue, sans anticipation, par-delà le champ des premières évidences.

[Meta-résonances]

Dériver, pour le geste méthodologique qui infléchit cette école de recherche, c’est « avoir son origine dans » ce qui sous-tend les agirs improvisés, qu’ils soient intra- ou extra-artistiques. A savoir : dériver depuis les savoirs du corps improvisateur que vient exemplifier la danse. Non que la danse ne soit centrale a priori, mais le médium de la corporéité – parce qu’il est irréductible à l’ensemble des pratiques improvisées, de danse, de théâtre, de musique, de performance, d’arts visuels et plastiques – fait figure de dénominateur commun à partir duquel étoiler les médiums seconds.

Dériver, c’est alors « écarter de la rive » à partir d’un quai de départ – le corps improvisateur – depuis lequel s’éloigner vers d’autres médiums, d’autres champs du savoir. Une invitation à aller ailleurs, suivant des trajectoires de la tangence et des circuits dérivés.

[Para-résonances]

La dérivation est un procédé en grammaire « qui consiste à former un mot à partir d’un autre en modifiant le morphème par rapport à la base ».

Il y a des dérivations impropres, des dérivations régressives qui enrichissent la chaîne lexicale de notre langue. Il y a un besoin, que nous affirmons, de doter l’expérience improvisée d’une langue, propre, impropre, multiple. Et d’accorder de l’importance au geste linguistique qui tente de la traduire en mots. Dans l’école, cette dérivation vers le langage alimentera la constitution d’un Centre de ressources en deux temps : un temps de Dérivations pour expliciter à la première personne l’expérience vécue, un temps de Visions pour élaborer une synthèse réflexive des matières quotidiennement parcourues. Deux temps qui viseront, in situ, à ressourcer l’improvisation.

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